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9 août 2013

Vrelo Bosne et Sarajevo (Bosnie)

Vendredi 9 août

Je n’ai qu’une seule idée en tête ce matin : trouver cette pièce pour mon vélo qui va me permettre de l’enfourcher à nouveau. Il y a un Intersport sur Illidža, mais pas la pièce de rechange. Je file donc sur la Sniper Alley, pour trouver les magasins de vélos que j’ai vus hier. Mais voilà, premièrement cette fichue pièce (celle qui tient la selle) n’existe pas ici, deuxièmement, j’ai beau vouloir racheter une tige de selle pour remplacer la totale, il n’y a pas le bon diamètre. Décathlon a bien fait les choses, pas de normes standard. C’est d’autant plus rageant que les types vendent du classique : Giant, Cannondale, Trek. Je passe chez trois spécialistes, mais aucun ne réussit à trouver une solution à mon problème. Je pensais pourtant que dans une ville comme Sarajevo, un tel ennui aurait été résolu facilement, par le bouche à oreille, par la débrouille ou le système D. Chez l’un d’eux, le plus avenant, je fais la connaissance d’un grand gars qui baragouine un peu d’anglais avec un accent à couper au couteau. Il me montre quelques photos de ses balades en Canondale sur les montagnes de Sarajevo. Tout bien comme il faut pour me donner encore plus de regrets. Je suis bien obligé d’admettre mon échec. Je me demande tout de même comment j’aurais fait si cela devait arriver en voyage à vélo. Bon, avec plus de temps, sans doute qu’une solution pouvait se trouver.

Quand je rentre au camping, bien déçu, je trouve Louna qui s’amuse avec une petite blonde de son âge. C’est la fille d’un couple en caravane de l’Ain. Elle a aussi une grande sœur. Pour Louna et Ivann, qui s’incruste, c’est bienvenu. Pouvoir jouer avec d’autres enfants, pouvoir se parler dans la même langue, ça leur manquait. Et à priori, c’est pareil pour les deux autres enfants.

Illidža est une ancienne station thermale dont l’histoire remonte jusqu’à la période romaine. Baignée par des sources d’eaux sulfureuses, au pied du Mont Igmann et de sa forêt, la petite ville a toujours été un lieu de villégiature pour les familles fortunées de Sarajevo. Grands amateurs de bains, les austro-hongrois ont développé la station en y construisant des grands établissements thermaux, des hôtels particuliers et quelques villas cossues. Ils développèrent également un grand parc autour de la source de la Bosna (qui donne donc son nom au pays) qu’ils relièrent à la ville, par une immense avenue boisée, la Grande Allée. 740 arbres, d'essences diverses, forment un tunnel feuillu de 3.5km.  Pour rejoindre l’entrée du parc, des calèches de style XIXe siècle, attendent les touristes…ou les sarajeviens. Pour 15km (soit 7.5€) on fait un petit saut dans le passé, dans ce monde de la mittle-europa qui au terme de la première guerre mondiale s’est presque volatilisé.

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Bien entendu, nous ne pouvons pas passer à côté de cette balade à chevaux. Vous pensez bien. Ce serait un coup à ruiner la suite du voyage. Louna ne nous le pardonnerait pas.

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Aujourd’hui, si la ville a conservé un bon nombre de ses atouts - thermes et un tout récent comlexe aquatique -  elle n’a pas encore effacé totalement les dégâts de la dernière guerre. Illidža était sur la ligne de front.

Nous mangeons un bout à l’entrée de la Grande Allée, sur une magnifique terrasse ombragée. Nous goûtons un nouveau plat, une sorte de grattée de pomme de terre. Comme le service, pour la première fois du voyage, est extrêmement long, nous avons tout le loisir de regarder les calèches faire leur aller-retour.
Etonnant de voir des touristes toutes voilées de noir, en version très « saoudienne ». Ce sera une constante de notre traversée de la Bosnie. Je ne sais pas de quels pays ils viennent. Mais cela donne l’impression d’un tourisme de la péninsule arabique. Des musulmans qui viennent rencontrer l’Islam au cœur de l’Europe ? Je me demande ce qu’ils peuvent penser des habits portés par leurs sœurs de foi, hier soir, dans les rues bondées de Sarajevo ?

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Le parc de Vrelo Bosne est un havre de fraîcheur. La source de la Bosna, dont l’eau surgit de la terre, se faufile en petits bras, formant des petits lacs, dans le parc. Nous partageons ce qui semble une tradition, en remplissant nos gourdes dans l’eau limpide et ultra fraîche de la Bosna. Nous buvons une gorgée. J’ai l’impression d’avaler une partie de l’histoire de ce pays. Ne parle-t-on pas de « mémoire de l’eau » ?

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Les gens piqueniquent, se détendent, lisent, palabrent ; les enfants jouent sur les jeux, se coursent, traversent les petits ponts de bois ; des familles se font photographier devant la source par un photographe « officiel », qui avec sa petite imprimante portable est capable de vendre immédiatement son travail, tel un polaroid moderne ; certains sur la magnifique terrasse sur pilotis du restaurant du parc passent un petit moment tranquille, devant un café, un jus de fruit ou une bière.

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Louna, satisfaite de son "cadeau" calèche, c’est maintenant au tour d’Ivann d’être contenté. Nous rejoignons le terminus du tram autour duquel s’est développé un sorte de bazar moderne, avec cafés à chichas, petits négoces d’alimentation, kébabs et cevapcici, magasins de vêtements, quincailleries et de nombreux bars avec écrans géants.

Nous montons dans un des vieux tramways de la ville pour remonter sur le centre.

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Un mot sur cette fameuse Sniper Alley. Il y a un peu moins de 10km entre le terminus et le centre. Comme nous l’avons vu, Sarajevo s’est développée le long de sa rivière, dans une vallée, qui d’abord très étroite sur le verrou à l’est, s’élargit sensiblement vers l’ouest et Illidža. De chaque côté de la Sniper Alley, la « nouvelle ville » a élevé ses barres d’immeubles, formant des quartiers bien délimités, par d’autres avenues transversales, un peu comme des blocks. En remontant l’allée, le tram passe devant tous ces quartiers de Sarajevo. Ils ne sont pas beaux, ça non. Ce sont des citées, ni plus ni moins hautes que celles qu’on appelle chez nous, des ZUP. La seule chose que je remarque, c’est que ces grandes barres sont assez aérées. Entre elles, il y a toujours un espace vert, un petit parc, une espèce d’interstice qui permet de respirer.


Respirer… quand on habite à Grbavica, Dobrinja, Novo Sarajevo, ça ne doit pas être évident. Il suffit de lever les yeux et de voir les immeubles encore criblés de balles, et plus haut, dans les collines, la ligne de crête ou étaient postés les frères ennemis. Difficile d’oublier. Impossible d’effacer. Chaque visage croisé de plus de vingt ans, porte en soi cette lourdeur, ce passé. Il est comme gravé dans les sourires, les silences, les regards parfois un peu vides. Dans le tram, on perçoit un calme étrange, comme si, encore aujourd’hui on attendait de descendre pour être bien sûr d’être sain et sauf. Nous avons beau faire l’autruche, la guerre nous tape toujours sur l’épaule pour montrer sa présence. 

Au centre, le décor est plus riant. Les échoppes sont toutes ouvertes aujourd’hui. Dans le vieux bazar, des ferblantiers s’activent sur leur pièce ; les souvenirs de tous genres – même des veilles balles ou vieux obus sont convertis en souvenirs – débordent des petits magasins. L’ancien bazar couvert est envahi par des négoces de pacotille ou d’artisanat - notamment le plus intéressant, les service de café turc.

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Une fois encore, la Grande mosquée et la Medressa sont portes closes. Contrairement aux deux cathédrales chrétiennes. Etrange et surtout dommage, j'aurais bien jeté un oeil à l'intérieur de ce très beau bâtiment, voir sous les coupoles. 

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Sur Ferhadjia, nous prenons le temps de dévorer des immenses gâteaux à la crème ou au chocolat, chez « Michelle », petit goût d'Autriche dans ses viennoiseries (les bien nommées).


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Sur l’avenue Maréchal Tito, on aperçoit ça et là, toujours, des impacts de balles. Pas un quartier, pas un immeuble ne semblent avoir été épargné. On colmate parfois les trous avec un peu de plâtre qui forment des tâches plus blanches, encore plus visibles, parfois on les laisse. Mais ils sont là, indélébiles. Les trottoirs se remplissent de cette foule qui arpente les rues, comme dans n'importe quelle autre ville de notre continent. Nous passons devant un tout récent centre commercial, escalator, enseigne mondiale, baies vitrées. Juste en face, de l’autre côté de la chaussée, le square avec le monument des enfants tués lors du siège. Toujours cette dichotomie. Cet impossible oubli.

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Nous reprenons le tram, à l’envers, redescendons la Sniper Alley. La voie passe devant le bâtiment de la télévision, point névralgique pendant la guerre, devant l’hôtel Holiday Inn, où vivaient bon nombre de journalistes occidentaux pendant le siège.
Dans le tram, une jeune femme à la beauté éblouissante. Je prends son portrait.


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Ce soir, le temps est menaçant, l’orage guette, nous mangeons un plat de pâtes avant d’aller nous reposer.

J’ai plein de sentiments très différents qui se mélangent dans mon esprit. Sarajevo n’est pas une ville facile, chaque pas est toujours une interrogation, sans cesse un référencement à ce qui est arrivé. A ce qui pourrait encore arriver, si… Toujours un peu d'apréhension de dire ou de faire, quelque chose qui sera mal perçu, mal intérprété.
Je suis heureux de ne pas être venu ici avant. J’aurais vraiment trop eu l’impression de sombrer dans une sorte de voyeurisme. Aujourd’hui, il existe une génération qui n’a pas connu le conflit. Une première génération qui devra s’inventer de nouvelles perspectives.

Au vu des circonstances économiques actuelles, la partie ne sera pas simple. 

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