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8 août 2013

Bjelašnica et Sarajevo (Bosnie)

Jeudi 8 août

Je pars dès le matin à la poursuite de mon boulon de selle. Je tiens absolument à faire du vélo dans les environs de Sarajevo. Je commence par choisir très mal mon jour. Aujourd’hui, tout est fermé, c’est Bajram. Le monde musulman fête en ce jour la fin du Ramadan. C’est le dernier jour de jeûne. Je trouve des magasins de vélos sur la Sniper Alley, portes closes, bien entendu. Essayez de trouver une tige de selle le 25 décembre par chez nous. 
Après ce demi-échec – il existe quand même des magasins spécialisés – je retourne au camping avec des burreks tout chauds, achetés dans une boulangerie albanaise.

Pour Sophie, la journée va être longue, elle n’est pas très bien. Nausées, manque d’énergie, elle n’est pas au meilleur de sa forme. Nous décidons alors de ne pas nous aventurer en ville tout de suite, mais d’attendre le soir, pour profiter de Bajram.
Nous ferons une balade en voiture, du côté du Mont Igman et ses pistes olympiques. Encore aujourd’hui, la forêt est par endroit minée. Dans toute la Bosnie, ils restent des poches qui ne sont pas entièrement sécurisées. Il suffit de ne pas sortir des chemins et routes, dans ces zones, pour ne pas prendre de risques. C’est une autre histoire si vous voulez aller aux champignons. 

Plus loin, après la station de ski, qui retrouve un second souffle après les destructions de la guerre, la route s’enfonce dans le massif de Bjelašnica qui culmine à plus de 2000m. La montagne se révèle, avec ses forêts, ses alpages, ses falaises calcaires et ses villages disséminés dans le tableau. Šabici, Umojliani, Sinanovića, Rakinitca, Bobovica… et encore, ce sont ceux qui sont reliés à la ville par la route goudronnée. Plus haut, plus loin, plus reculés, il y a encore des dizaines de hameaux à découvrir.

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Pour beaucoup, ils ont subi les affres du nettoyage ethnique perpétré par les forces bosno-serbes, et bon nombre de villages ont été reconstruits. Difficile d’imaginer tout ça maintenant, sous ce soleil estival, dans ce paysage riant.
Difficile d’imaginer, également, que Sarajevo ne se trouve qu’à quelques kilomètres d’ici. Nous sommes vraiment en pleine montagne, avec une agriculture de montagne : petits lopins de terre cultivés, vaches, brebis. Si ce n’était les petites mosquées
qui prennent la place des clochers,  et quelques vieilles femmes portant le voile – quoique, les mêmes qu’en Serbie orthodoxe - cela ressemble fortement à nos Alpes. Il y a cinquante ans.  
Nous croisons quelques personnes sur le pas de leur maison, sur leur trente et un.  Ce soir c’est Bajram, et tout le monde s’apprête à descendre à la capitale.
Nous faisons de même. Sophie, toujours brassée, ne profite pas, elle dort presque toute la balade. J’espère pouvoir remonter avec mon vélo, et suivre les panneaux qui annoncent de magnifiques balades en vtt…inch’Allah !...Il ne voudra pas.

Pour rentrer dans Sarajevo, il faut traverser une partie de la ville serbe. Il n’y a pas (plus ?) de frontière, de poste de police, mais les panneaux en cyrillique ne nous trompent pas.

Nous déposons la voiture sur la rive droite de la Miljacka.

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Nous voici enfin à Sarajevo, en plein cœur de la Baščaršija, le quartier ottoman de la capitale. C’est la place de Sebilj, le cœur névralgique et touristique de la vieille ville. En son centre, la fontaine, surmontée d’un pigeonnier en bois. Et tout autour, les pigeons, qui font le régal des enfants, comme sur la place Saint-Marc de Venise.

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A gauche une vieille mosquée ottomane. Tout autour, des vieilles demeures de style turc, pierres et bois. Bien sûr, beaucoup de magasins de souvenirs,  restaurants avec « menu turistik », cafés à chicha, kebabs. Beaucoup d’échoppes ont le rideau baissé, nous sommes jour férié. La rue Ferhadija descend vers l’ouest. Entièrement piétonne, elle passe devant la mosquée Gazi-Husrev Begova, la tour de l’horloge, la Medressa, le bazar couvert.

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Puis, sans transition, les bâtiments s’élèvent soudain plus haut,  terminées les maisons basse typiquement bosniaques, on se retrouve au cœur d’une ville de province austro-hongroise avec ses immeubles pastels, des moulures rococos, de larges fenêtres, des balcons ouvragés, et des portes cochères monumentales et ornementées. Les cafés sont plus chics, avec des pâtisseries mitle-europa, et les négoces reprennent les enseignes qui se sont implantées dans tous les pays du monde. Voici la cathédrale catholique avec son clocher pointu et derrière elle, sur la gauche, la flèche à bulbe de la cathédrale serbe orthodoxe. Dans le petit parc, près des deux églises, des hommes jouent aux échecs gants, devant des curieux qui commentent le dernier coup.

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La rue Ferhadija s’incurve sur la droite et débouche sur l’avenue Maršala Tita. On y retrouve la ligne de tram et la circulation automobile, bien calme en ce jour de fête. A l’angle des deux rues, au pied d’un immeuble, une flamme éternelle rend hommage aux défenseurs de Sarajevo durant l’occupation nazie : Bosniaques, croates, monténégrins, et serbes de Bosnie. S’est-elle éteinte pendant le siège de Sarajevo ?

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Comme Ivann nous tempête son irrésistible envie de monter dans un vieux tram, nous cédons. Même s’il ne s’agit que de deux arrêts pour remonter à la place aux pigeons.

Le tram de Sarajevo. Il faudrait sans doute quelques pages pour expliquer l’importance de ce tramway dans la ville. Ouvert en 1885, brouillon officiel pour les lignes de de Vienne et des autres villes de l’empire Austro-Hongrois. Il relie le centre-ville ottoman, au pied du verrou montagneux de la partie est de la ville, à la petite station thermale de Illidža à l’ouest, en suivant la petite rivière de la Miljacka. La ville s’est développée autour de sa ligne, notamment tous les nouveaux quartiers du XXe siècle.

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La ligne principale s’enroule autour de la vieille ville, faisant demi-tour autour de la bibliothèque nationale. Cette bibliothèque que les factions serbes ont volontairement incendiée depuis les hauteurs de la ville, la prenant comme un symbole. On a souvent dit que cette guerre était aussi, au-delà du conflit nationaliste (ou religieux), une guerre entre les gens de la campagne, et les citadins. La bibliothèque était le symbole de l’intelligentsia. Les dégâts furent considérables, des œuvres inestimables ont été détruites à jamais. Par miracle, la Haggadah de Sarajevo a été préservée. La Haggadah est un très ancien manuscrit hébraïque expliquant l’histoire des juifs, elle a suivi l’exode de son peuple de Tolède à Sarajevo en 1492. Ce n’est qu’au XXe siècle qu’elle est réapparue dans les mains d’un enfant juif de Sarajevo. Protégée pendant la deuxième guerre mondiale, par un musulman, elle le fut également pendant la guerre de Bosnie par les autorités bosniaques.
Aujourd’hui encore, la bibliothèque est fermée. En perpétuelle restauration, elle cache aux visiteurs une partie de ses murs peints de jaunes et grenats et ses arabesques derrière des échafaudages. Belle histoire également que celle de ce bâtiment, érigé pendant la période austro-hongroise, en 1896. D’abord Hôtel de ville, son architecte, Alexandre Witek, l’a conçu dans un style néo-maure en s’inspirant de l’Alhambra de Grenade et du Memluk du Caire.

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J’achète un billet pour deux  - enfin je crois – au chauffeur. Entre les deux arrêts, voilà qu’un type patibulaire me demande les tickets. Aucun uniforme, juste une carte mal en point qu’il me présente comme preuve de son assermentation. Il fallait deux billets. J’essaye de parlementer en expliquant ma bonne foi, que nous venons d’arriver, de monter, que nous nous arrêtons au prochain arrêt. Que je n’ai pas de « money » pour payer… combien déjà ? 20 ? 30 €… ?
Soudain, les autres passagers, qui semblaient à mille lieux de nos histoires, commencent à intervenir, d’abord l’un, puis un autre, et une femme… ils montent un peu le ton, et demandent au type de nous laisser tranquille, j’entends plusieurs fois le mot « turist ». Il cède. Il descend avec nous, à l’arrêt Baščaršija et il me serre la main « no problem, no proble, welcome in Sarajevo ». Un vieil homme qui avait pris notre défense vient nous voir et en tapotant ses tempes avec son index, me fait comprendre qu’il est fou…
Est-il ou pas un vrai contrôleur ? Nous ne le saurons jamais avec certitude.

Rive droite de la Miljacka, les habitations partent à l’assaut de la colline de Vratnik. Sans aucun doute, l’un des quartiers les plus authentiques de Sarajevo avec sa multitude de petites maisons ottomanes, pierres, bois et tuiles rouges, qui s’accrochent à la pente ; et ses minuscules mosquées, innombrables. Nous prenons un mini bus jusqu’au sommet de Vratnik, où se détache un vieux fort, le Jajce. De là-haut, la vue est imprenable.

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On surplombe Sarajevo, toute la coulée urbanistique qui dégouline dans son large vallon jusqu’au pied du Mont Igmann. Il est impossible de ne pas penser aux forces serbes qui étaient postées ici, comme sur toutes les collines encerclant Sarajevo.  Ces « hommes des collines » qui avaient à portée d’un jet de pierre, leur concitoyen en ligne de mire dans une lunette de fusil. Cela paraît presque irréel aujourd’hui. Comment cela a été possible ? Comment a-t-on pu laisser cette ville, prise dans une siège de 4 ans (plus long que Stalingrad), se débrouiller seule. C’est assez inimaginable. En 1984, elle accueillait le monde, en 1992 elle était devenue invisible.
Qu’elle est belle cette ville vue d’ici. Ce travelling qui m’a toujours fait rêver sur les toits de la cité. L’œil qui passe des centaines de minarets, aux clochers de quelques églises orthodoxes ou catholiques, et la vieille synagogue, là-bas, sur les rives de la rivière.
Je suis prêt à faire le pari, que d’ici quelques années, cette forteresse en ruine, où les touristes viennent photographier au soleil couchant les toits de la ville, sera transformée en restaurant ultra chic. Le site est superbe.

Le soleil désormais de l’autre côté de la montagne, nous redescendons la colline à pieds, passant devant quelques petites mosquées qui lancent l’appel à la prière de la fin du Ramadan. Il est vrai que nous ne sommes pas au cœur de la ville, mais je m’attendais à une véritable explosion sonore au moment de la rupture du jeûne. Il n’en sera rien, les chants sont assez courts, et aucun coup de canon – comme j’avais entendu en Tunisie il y a quelques années – ne vient imposer sa présence. D’ailleurs, même pendant la journée, les gens de Sarajevo boivent, mangent ou fument, sans vergogne ; malgré Ramadan. On dirait vraiment que chacun est libre de faire ce dont il a envie, de ce côté-là. Nous sommes bien loin de la peur que certains avaient, de voir la Bosnie devenir une base pour la pénétration d’un Islam radical au sein de l’Europe. En tout cas, à l’œil nu d’un touriste de passage, l’Islam est discret. Peut-être même beaucoup plus discret que dans nos villes de France.

Nous nous perdons un peu dans le dédale des ruelles de Vratnik, faisant une pause avec des centaines d’autres personnes sur la terrasse d’un jardin public, juste au-dessus de la bibliothèque nationale et d’un vaste cimetière aux pierres tombales blanches, et qui révèleront des dates de décès des années 90. Les lumières de la ville s'illuminent les unes après les autres, le moment est assez magique. Même si nous devons surveiller que les enfants ne passent pas par dessus la ballustrade. 

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A nouveau sur Sebilj, puis le long de la Ferhadija, nous avons l’impression d’être dans une tout autre ville. La foule, compacte, déambule. Les cafés font le plein jusque sur les trottoirs, on ne distingue plus la musique d’un pub de la télé d’un autre, les familles se baladent, la jeunesse défile et les touristes regardent. Sarajevo est bien vivante ! Bien sûr, ce soir, c’est Bajram, mais tous les soirs, du moins en été, la ville est prise d’assaut une fois la nuit tombée. Quelques femmes portent le voile, mais en général de manière fort élégante, très classe. Souvent un « costume » blanc d’ailleurs.

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Mais pour l’essentiel, elles adoptent des tenues très occidentales, voire très courts vêtues. L’impression de se trouver un peu en Italie où les gens font très attention à leur apparence, même si parfois, cela frôle le mauvais goût. (C'est moi qui dit ça ? C'est vrai que je suis spécialiste es fringues !) Par contre, je remarque que sur les tables des terrasses, même si ce n’est pas exclu, il y a très peu d’alcool.

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Nous terminons la soirée dans un petit restaurant de la Baščaršija à manger des brochettes et à engueuler Louna qui dit ne pas aimer les brochettes !

« Mais comment peut-on ne pas aimer des brochettes ???? »  hurle papa.
« Je veux des frites, que des frites » poursuit la gamine.
« On ne mange pas QUE des frites dans un restaurant ! Répond-t-il sans céder.
« Moi j’aime bien les brochettes, moi ! » nargue le petit frère.
« Ivann, commence pas à embêter ta sœur, et toi, Louna, arrête de pleurer immédiatement ! » souffle la mère.

Et voilà comment, deux mômes, peuvent vous ruiner un jour de fête…

 

 

 

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